Et si les comportements opportunistes amélioraient la performance des relations au sein des réseaux d’affaires ?

auteurs

  • Fulconis François
  • Paché Gilles

mots-clés

  • Performance
  • Relations inter-entreprises
  • Réseaux d’affaires
  • Comportements opportunistes

type de document

ART

résumé

Nombreux sont les travaux qui, depuis la fin des années 1980, sont consacrés à l’étude des relations entre entreprises, plus spécialement à l’amélioration de leur performance à partir de la mise en œuvre de stratégies coopératives. L’engagement durable dans une relation et un climat de confiance réciproque forment les deux piliers d’approches stratégiques nouvelles qui viennent amender des modèles connus fondés sur la compétition et la recherche exclusive de son propre intérêt. Pour ces approches, l’opportunisme potentiel des co-contractants a évidemment un impact désastreux : comment s’engager de façon durable dans une relation d’échange si l’on redoute d’emblée que le partenaire ne se préoccupe systématiquement que de son intérêt, et ce, en usant éventuellement de ruse, de tromperie voire en violant les règles établies dans le cadre de la coopération ? La vision dominante en théorie des organisations et en management stratégique présente l’opportunisme sous un jour plutôt négatif et contre-productif pour les relations inter-organisationnelles. Or, il est possible de remettre en cause cette conception en indiquant qu’un opportunisme modéré pourrait paradoxalement avoir des impacts positifs insoupçonnés sur les réseaux d’affaires qui constituent désormais un mode dominant de croissance des entreprises. Nous entendons ici le réseau d’affaires comme un ensemble d’entreprises associées autour de la réalisation d’un projet commun, par exemple la production et la commercialisation d’une gamme de produits, et qui se partagent entre elles un certain nombre de tâches pour que ce projet se concrétise. Les entreprises sont liées par des relations d’échange étroites et stables . Elles acceptent de travailler en commun, quitte à perdre une partie de leur liberté d’action, et s’engagent à collaborer pendant plusieurs années, y compris en investissant dans des équipements spécifiques coûteux, pour améliorer le fonctionnement du réseau d’affaires (Jarillo, 1993 ; Paché & Paraponaris, 2006). Il est clair, dans ces conditions, que le comportement opportuniste apparaît opposé au climat de confiance nécessaire pour que le projet commun se pérennise ; aucun partenaire ne pourra tolérer longtemps que l’un des autres partenaires essaie de le tromper pour en tirer quelque avantage. Le réseau d’affaires sous-entend ainsi une communauté d’intérêts qui est garante de sa puissance. Et pourtant… Coopérer est certes une manière de se développer quand aucun des membres d’un réseau d’affaires ne peut le faire seul. Mais coopérer, c’est peut-être aussi entrer dans un processus de sclérose organisationnelle, de routine et de bureaucratisation risquant de « tuer » l’esprit d’innovation. À moins que les différents partenaires, soupçonneux d’un éventuel opportunisme, restent toujours sur leurs gardes et maintiennent intactes leurs capacités d’adaptation pour pouvoir rejoindre très rapidement un autre réseau d’affaires. À moins également que l’opportunisme de l’un des partenaires puisse leur apporter des bénéfices inattendus. C’est ce paradoxe que nous souhaitons explorer, celui d’un opportunisme modéré comme source potentielle de performance pour un réseau d’affaires, à partir d’une étude de cas conduite auprès du réseau France Distribution Gestion (FDG) opérant dans le secteur du commerce de gros. L’angle d’attaque retenu dans l’article est donc à la fois complémentaire et opposé à celui de la théorie des jeux. Depuis les travaux fondateurs de von Neumann & Morgenstern (1944), complétés par Nash (1953) puis Kreps (1990), il est entendu que l’essence même des agents économiques est définie comme étant opportuniste, ce qui n’empêche pas de voir émerger entre eux des relations stables de coopération. Ces dernières sont simplement le fruit d’un calcul rationnel qui conduit, malgré l’opportunisme révélé, à préférer la continuation des échanges plutôt que leur rupture, jugée trop coûteuse à supporter. Ce qui est plus surprenant en revanche, et non pris en compte par une théorie des jeux qui ne fait finalement qu’attirer l’attention sur les problèmes que posent les choix d’individus rationnels en situation d’interaction, c’est que des agents économiques puissent tirer un bénéfice direct du comportement opportuniste d’un partenaire, jusqu’à accepter ouvertement qu’il agisse ainsi. En d’autres termes, si le fait d’introduire l’opportunisme comme élément explicatif de l’évolution des réseaux d’affaires n’est pas original, lui conférer un rôle dynamique d’amélioration de leur performance l’est beaucoup plus selon nous, et ouvre des pistes pertinentes pour la prise de décision en entreprise

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